Idées reçues et autres infox
Dans cette rubrique, nous démystifions les idées reçues et les fausses informations couramment associées à la biomasse.
NON
Le terme “bio” dans “biomasse” n’a aucun rapport avec le label garantissant l’absence de produit chimique de synthèse dans la nourriture. “Bio‑” vient du grec bíos, qui signifie simplement « vie ». “Masse” vient du latin massa, amas, tas, volume. Ainsi “biomasse” signifie littéralement “masse vivante” et désigne une quantité de matière constituée par l’ensemble des êtres vivants, animaux, végétaux, champignons et bactéries, se trouvant dans un écosystème donné, à un moment donné.
Le terme “centrale biomasse” peut laisser penser à une production d’énergie intégrée au vivant. Dans la pratique, les plantes utilisées par les centrales à biomasse sont belles et bien mortes et bien souvent, en poussant à substituer des forêts naturelles par des plantations énergétiques, les centrales à biomasse fonctionnent au détriment de la vie.
Centrale à nécromasse (nekrós, « mort », « cadavre » en grec) serait peut-être un terme plus adapté !
MAJORITAIREMENT PAS EN GUYANE
La biomasse d’un écosystème se régénère constamment, avec des variations à la hausse (lorsque l’herbe d’un jardin pousse par exemple) et à la baisse (lorsqu’une sécheresse mène à la mort de plantes et d’animaux par exemple).
Lorsque l’on prélève de la biomasse d’un écosystème (des arbres pour alimenter des centrales électriques par exemple), on fait diminuer la quantité de biomasse de cet écosystème. Si on laisse du temps à l’écosystème pour qu’il reconstitue sa biomasse (en laissant du temps aux arbres pour repousser par exemple), alors oui, la biomasse est renouvelée et constitue donc une énergie renouvelable.
En Guyane il y a trois grands principes d’alimentation des centrales à biomasse :
- en récupérant les résidus de scierie et d’exploitation en forêts naturelles,
- en récupérant les bois issus de défriches (défriche pour le développement de l’agriculture, prélèvement des bois ennoyés à Petit Saut),
- en développant des plantations énergétiques : il s’agit de remplacer des surfaces forestières par des plantations (canne fibre par exemple) qui seront directement brûlées en centrale.
Dans le premier cas, l’énergie est effectivement renouvelable : ce bois provient actuellement d’une exploitation raisonnée par l’ONF qui garantit la régénération de la forêt.
Dans le second cas, l’énergie n’est pas renouvelable : une fois le bois brûlé, il a disparu pour toujours. Or les deux tiers des approvisionnements guyanais relèvent de cette catégorie.
Dans le troisième cas, l’énergie n’est que partiellement renouvelable. En effet, une parcelle de forêt guyanaise contient plus de 300 tonnes de biomasse sèche à l’hectare sous forme de bois tandis que les plantations de canne énergie les plus productives permettent d’obtenir seulement 40 tonnes à l’hectare, grâce à plus ou moins d’engrais et de pesticides. En se focalisant sur le fait que ces cultures repoussent après chaque récolte, on pourrait avoir l’impression que la biomasse issue de culture énergie est renouvelable. Mais si l’on regarde l’ensemble du processus, on voit que la biomasse des forêts est perdue et donc que la majeure partie de la biomasse n’est pas renouvelable.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur notre page dédiée à l’origine des combustibles des centrales guyanaises.
NON, ni au sens commun, ni au sens de la loi
Les centrales guyanaises construites ou en projet seront alimentées à 70% par des bois venant de la défriche agricole ou du barrage de Petit-Saut. Une fois brûlés, ces arbres seront perdus pour toujours, aussi les centrales à biomasse de Guyane ne peuvent fonctionner que tant que l’on défriche pour l’agriculture et enlève des troncs de Petit-Saut. Ainsi d’ici deux ou trois décennies on ne pourra plus produire d’électricité à partir de la biomasse. Cette production n’est donc pas durable.
Une alternative régulièrement avancée par des politiciens guyanais et des industriels consiste à développer des cultures énergétiques. Or, dans une région couverte à 96% par les forêts, ces cultures nécessitent de déforester des milliers d’hectares pour produire les volumes requis. Peut-on considérer comme durable la destruction d’écosystèmes extraordinairement riches en biodiversité et retenant des centaines de milliers de tonnes de carbone ? Ce n’est pas l’avis de la directive européenne sur les énergies renouvelables, qui considère que la biomasse issue de “forêts très riches en biodiversité” ou de “forêts primaires” ne satisfait pas aux “critères de durabilité”.
PAS FORCÉMENT
Malgré un taux d’énergie renouvelable (voir notre article) très avancé, la Guyane présente le taux d’émission de gaz à effet de serre par habitant le plus élevé de France. Ceci est particulièrement dû à la défriche agricole qui se solde pour le moment par la combustion de milliers d’hectares de forêts chaque année.
Les partisans de la biomasse proposent de brûler ces bois non pas en parcelle mais dans des centrales électriques, cette production électrique se substituant à la part de l’électricité guyanaise qui est actuellement produite au pétrole. Ainsi, les émissions dues à la défriche seraient toujours les mêmes, mais une partie des émissions liées à la production d’électricité par pétrole disparaîtrait, améliorant temporairement le bilan carbone du territoire.
Toutefois, indépendamment du développement de centrale à biomasse solide, EDF compte fermer d’ici 2026 ses principales centrales au fioul, pour les remplacer par des centrales à biomasse liquide importées. Ces centrales présenteront des émissions deux à quatre fois plus faibles que les centrales au fioul actuelles. Aussi, la substitution de leur production par de l’électricité provenant de la combustion de bois aura un intérêt d’autant plus maigre pour la lutte contre le changement climatique.
Enfin, si au lieu d’être brûlé en centrale ce bois était valorisé pour produire des biomatériaux (voir notre article), alors le carbone qu’il contient resterait conservé pour des décennies, empêchant l’aggravation du changement climatique. Il suffit de regarder la répartition des émissions en Guyane pour voir que le meilleur moyen de diminuer les émissions de gaz à effet de serre n’est pas de diminuer les émissions des centrales électriques, mais de réduire les émissions liées à la défriche agricole.
Abordons pour finir le projet spécifique de combustion des bois de Petit Saut. Les troncs envoyés dans la retenue de Petit Saut se dégradent très peu et rejettent donc très peu de gaz à effet de serre. En les coupant pour les brûler en centrale à biomasse, la société Triton va rejeter tout le carbone qu’ils renferment dans l’atmosphère. Ainsi, si elle entre en fonctionnement, la centrale biomasse de Petit-Saut rejettera plus de gaz à effet de serre qu’une centrale au charbon. S’il est mené à son terme, le projet Triton contribuerait à 8% de la production électrique guyanaise et à 38% de ses émissions de gaz à effet de serre (voir notre article) !
PAS EN GUYANE
La biomasse énergie est régulièrement présentée comme “neutre pour le climat”, ce qui signifie qu’elle n’émettrait pas de gaz à effet de serre. C’est d’ailleurs à ce titre qu’elle est promue dans de nombreux pays. Ceci est lié au fait que dans la théorie, les plantes brûlées dans les centrales à biomasse sont censées repousser par la suite (cf. point précédent sur le caractère renouvelable de la biomasse énergie). Le carbone émis par les centrales est donc recapté par les plantes à leur croissance.
Dans la pratique en Guyane, nous avons vu que la biomasse brûlée ne repoussera pas, qu’il s’agisse des surfaces déforestées pour l’agriculture ou des troncs extraits de Petit Saut. Et quand bien même des plantations énergétiques étaient développées, celles-ci étant réalisées en déforestant des parcelles de forêts naturelles, elles seraient responsables de l’émission de gaz à effet de serre qui ne seraient jamais recaptées (une parcelle forestière retient 7 fois plus de carbone qu’une plantation énergétique).
Ainsi, en Guyane, le développement de la biomasse énergie accélère le changement climatique.
PAS DU TOUT
La biomasse énergie consistant à produire de l’électricité avec des plantes et les plantes capturant du carbone issu du CO2 atmosphérique, certains s’imaginent, voire laissent entendre, que la biomasse énergie permet d’absorber le CO2 contenu dans l’atmosphère. S’il est vrai que les plantes captent le carbone atmosphérique (l’atome “C”) il ne faut pas oublier que brûler les plantes pour en récupérer l’énergie rejette tout ce carbone sous forme de CO2.
De plus nous avons vu plus haut que dans la plupart des cas, les plantes brûlées ne repousseront pas. La biomasse énergie ne permet donc pas d’absorber du CO2 au contraire, elle contribue à en émettre.
PAS DU TOUT
Nous avons vu que le développement de centrales électriques à biomasse était au mieux sous-efficient, au pire délétère pour le climat et elle s’accompagne également de graves atteintes à la biodiversité.
Par exemple, le projet Triton à Petit-Saut va éliminer les nids de nombreuses espèces d’oiseaux, certaines étant intégralement protégées (comme le pic or olive). Il pourrait même mener à la disparition de la plus grande population mondiale de loutres géantes d’après l’Office Français de la Biodiversité.
Pour ce qui est des projets de plantations énergétiques (comme la canne fibre par exemple), en faisant disparaître des milliers d’hectares de forêt, ils détruiraient non seulement toutes les espèces de plantes et d’animaux qui y vivent, mais en augmentant localement la température et faisant diminuer l’humidité de l’air, ils réduiraient les précipitations pour les arbres situés sous le vent, ce qui affaibliraient plus largement les forêts guyanaises, déjà menacées de disparition sous les assauts du changement climatique.
Le développement de la biomasse énergie se fait donc complètement au détriment du climat, des forêts et de la biodiversité.
En savoir plus à travers notre article sur les conséquences de la biomasse énergie en Guyane.
OUI, TEMPORAIREMENT ET DE MANIÈRE TRÈS LIMITÉE
En brûlant du bois provenant de Guyane à la place de pétrole importé, les centrales actuelles et en projet pourraient fournir un quart de l’électricité soit moins de 8% de l’énergie actuellement consommée en Guyane.
Toutefois, comme précisé plus haut, cette autonomie durera aussi longtemps que l’on déforestera en Guyane pour développer l’agriculture et que les industriels prélèveront les bois de Petit-Saut. C’est-à-dire que d’ici deux ou trois décennies, deux tiers du combustible disparaîtra et les centrales ne pourront plus contribuer à l’autonomie du territoire. Sauf à développer les plantations énergétiques.
NON
Des politiciens de Guyane comme de l’hexagone soulignent régulièrement le besoin de produire plus d’électricité en Guyane pour éviter les coupures qui frappent régulièrement le territoire. Or ces coupures ne sont jamais liées à des défauts de production mais proviennent de la fragilité du réseau électrique, à l’exemple de la coupure massive du 27/08/2023, qui était dûe à une défaillance simultanée au niveau des lignes à haute tension qui passent par le barrage de Petit-Saut.
Si l’augmentation de la population, entre autres, oblige bien évidemment à réfléchir à augmenter la production électrique, dans l’immédiat, le déploiement de centrales à biomasse ne changera pas la qualité d’alimentation en Guyane.
UN PEU… MAIS ON POURRAIT FAIRE BEAUCOUP MIEUX
Certes le fonctionnement des centrales à biomasse demande de la main d’œuvre puisqu’il faut des équipes pour prélever et transporter le bois, ainsi que pour piloter et maintenir les centrales. Mais il existe d’autres utilisations du bois qui génèreraient bien plus de valeur économique. En effet, les directives européennes (voir notre article) appellent à une utilisation dite “en cascade” du bois, c’est-à-dire que le bois doit avant tout servir comme matériau et en dernier recours comme énergie.
Ce n’est pas le schéma qui a été retenu en Guyane et ainsi, en passant directement du stade “d’arbre” à celui de “bioénergie”, la quasi-totalité de la valeur économique (et environnementale) de nos forêts est détruite.
On peut illustrer ceci en constatant qu’un kilogramme de bois transformé en un simple panneau d’OSB va se vendre dix fois plus cher que le demi kilowatt-heure d’électricité qu’il peut générer.
De plus, les recherches menées à Kourou par l’UMR Ecofog démontrent que le bois de la défriche agricole pourrait servir dans la construction de bâtiments ainsi que pour produire des matériaux à très forte valeur ajoutée comme des isolants thermiques ou des matériaux de construction composites (voir notre article sur les alternatives à la biomasse énergie).
Ce sont autant d’emplois qui pourraient être développés… si le bois ne partait pas en fumée.